Deuxième recueil des aventures de Marzi. Plus âgée, elle nous fait entrer dans un univers qui perd son innocence, talonné par le monde des adultes et les troubles politiques. La chute du communisme est là, Marzi commence à comprendre…
Le premier volume semblait se cantonner à l’enfance uniquement avec ses jeux dans l’immeuble, les souvenirs de réunions familiales, la campagne polonaise et son univers onirique. La religion semblait plus présente (dans l’épisode cocasse où les enfants interprètent le pape et la foule de pèlerins dans la cage d’escalier de l’immeuble) et la politique uniquement en bruit de fond, perçu à travers l’ouïe d’une fillette.
Dans ce volume, l’histoire la plus simple et la plus enfantine est teintée de gravité et d’amertume. C’est, au détour d’un jeu anodin, la méfiance d’un gamin envers un camarade qui aime bien les garçons… la méchanceté aigue de quelques gosses envers « Tante Genia » atteinte de la maladie d’Alzheimer. Et la stupéfaction de Marzi devant le mari d’une cousine, battu par elle et ivre mort sur la pelouse après une fête locale.
Gravité, amertume, cruauté aussi, parfois de la part des bambins eux-mêmes, ce qui brise l’image idyllique qu’on retrouve souvent dans les ouvrages nostalgiques sur l’enfance.
Au moment où s’efface la religion – l’épisode où la Vierge apparaît sur la vitre d’une école voit la victoire de l’incrédulité de Marzi et de son père sur la mère croyante – le fait politique prend la relève. Solidarnosc, les grèves, les prises de position sont relatées à de nombreuses reprises. Ces épisodes ne s’éloignent pas tant que cela de ceux plus « quotidiens », car l’amertume y est aussi présente. En effet, qui se souvient du rôle de la Pologne dans la chute du bloc communiste ? Peu de monde, et pourtant il fut essentiel et « fondateur ».
D’ailleurs, la liberté vient mais il n’y a pas grand chose dans les magasins. On connaît la suite : capitalisme débridé, course à la consommation, fin des idéaux. Tout cela est annoncé dans un joli épisode. Lors de vacances, Marzi se lie d’amitié avec la petite fille de sa tante, Edyta, dont les parents sont en instance de divorce. Marzi reçoit aussi de la part d’une lointaine cousine le « Graal »: une poupée Barbie, qu’elle garde dès lors jalousement en attendant son retour à la maison. A la fin des vacances, Edyta est inconsolable du départ de Marzi. Celle-ci ne voit qu’une chose à accomplir, qu’elle regrettera juste après l’avoir fait : donner la Barbie à Edyta. Jolie conclusion ironique, où le bien de consommation tant désiré échappe à Marzi au moment où elle s’apprêtait à en profiter. L’amertume, encore.
L’album s’achève par un judicieux journal de voyage en Pologne, sur les traces des personnages qui peuplent la B.D., les amis d’enfance, la famille, mais aussi la Pologne d’aujourd’hui. Ce journal fait finalement écho à nombre de témoignages qu’on a pu lire et découvrir lors de la commémoration de la chute du Mur de Berlin, où nombre de citoyens des pays de l’ancien bloc communiste se sentent très loin de l’Europe, voire rejetés par elle. Les sentiments demeurent les mêmes : désenchantement et optimisme… pondéré.
A noter que ce journal est ponctué de portraits de Marzi par des dessinateurs. Celui d’Emile Bravo est particulièrement savoureux… Imaginez… la mère de Marzi sous les traits d’un certain pape et le père sous les traits d’un certain syndicaliste…
Voir la présentation du premier volume.
A. Delaunay - mars 2009