Les éditions ‘Le Cavalier Bleu’, dont nous avons déjà présenté quelques « Idées reçues », viennent d’initier une nouvelle collection baptisée Comment je suis devenu …. Le volume que nous abordons ici est consacré à la géographie et surtout à quelques géographes français qui ont marqué, et qui marquent encore puisque tous sont contemporains, la géographie du dernier tiers du XXè siècle et du début du XXIè siècle.
Douze géographes sont donc présentés ici, ou plutôt se présentent eux-mêmes, ainsi que les propositions qu’ils ont fait à la géographie. On retrouve plus ou moins trois générations de géographes : Les désormais « classiques » nés dans les années 30 (R. Brunet, P. Claval et A. Frémont), la génération des années 40/50, et enfin deux géographes des années 60 (V. Gelézeau et J. F. Staszak). On appréciera la présence des différents courants de la géographie française (la géographie quantitativiste avec R. Brunet ou D. Pumain, le tourisme avec R. Knafou, la géographie sociale avec J. Lévy, la géographie physique avec Y. Veyret, la géographie post-moderne avec J. F. Staszak), offrant ainsi un panorama sinon, exhaustif du moins assez complet de la discipline aujourd’hui ; et une évocation de celle d’hier, notamment à travers les souvenirs d’A. Frémont, P. Claval et R. Brunet qui nous parlent des géographes de la génération précédente tels que A. Cholley. F. Taillefer, P. Gourou ou P. George comme faisant partie de leurs figures marquantes.
Chacune de ces (auto)présentations est agencée de la même façon : Une brève biographie, l’origine de leur vocation, leur cursus, leur apport à la géographie, Les figures qui les ont marquées, leur regard sur la géographie actuelle et enfin leurs principaux ouvrages. Le tout étant accompagné de citations mises en évidences et d’encarts sur des thèmes alternatifs qui ont marqué ces chercheurs (R. Brunet propose par exemple un portrait d’Anatole France, V. Gelézeau évoque la danseuse Pina Baush, J. Lévy Italo présente Calvino).
Un aperçu de ce que l’on peut apprendre dans cet ouvrage : les vocations.
Rares sont les géographes qui admettent ici une véritable vocation. Voyons donc quels peuvent être les éléments qui conduisent à la géographie. Nos géographes acceptent le plus souvent avoir eu des prédispositions dont l’une des principales est la volonté d’ouverture sur le monde. Le goût des voyages joue un rôle prépondérant dans l’orientation de ces cursus (V. Gelézeau, J. Lévy, J. F. Staszak), les lectures de manuels géographiques (Y. Veyret, P. Claval) ou de romans d’aventure (A. Bailly) aussi. Plusieurs d’entre eux disent être arrivés à cette discipline par défaut (R. Brunet par défaut de l’histoire et de l’architecture, R. Knafou par défaut de l’histoire et de la philosophie, J. F. Staszak car l’agrégation de Géographie était plus facile que celle d’histoire). On peut noter aussi que les parents ont pu jouer un rôle non négligeable dans ces choix (la mère institutrice de Y. Veyret, le père enseignant de P. Claval, le père géographe « manqué » de J. Lévy). Pour finir on notera les parcours particuliers de J. R. Pitte qui révèle avoir voulu devenir cuisinier et stewart avant d’entrer en géographie par le biais du tourisme. Pour A. Frémont, c’est la guerre qui a joué un rôle important : les soldats venant de pays lointains puis la reconstruction de la région Normande l’amenant vers l’aménagement du territoire. Quant à A. Bailly, parti pour s’inscrire en Anglais, il rencontre dans le train des amis qui le convainc de les rejoindre en géographie.
Comme quoi l’idée de géographie comme discipline carrefour n’est pas tout à fait galvaudée |
Cet ouvrage nous permet donc de découvrir un peu de l’envers de la géographie, ce qui y amène et la construction des parcours personnels de ces personnalités qui ont marqué la géographie contemporaine. On appréciera la présence d’Augustin Berque qui évolue un peu en marge du système universitaire français, ainsi que celle de J. F. Staszak qui fait partie des géographes (parfois controversés) qui ont ouvert cette discipline à des vents nouveaux. On regrettera l’absence de personnalités comme Yves Lacoste, lui aussi controversé mais qui a indéniablement marqué l’histoire de la géographie contemporaine, ou de Marie-Claire Robic qui aurait pu évoquer l’histoire de la géographie.
Cet ouvrage s’adresse donc à la fois aux géographes confirmés et aux géographes débutants. Les « confirmés » feront un point sur les idées de chacun et découvrirons plus en avant des personnalités qui côtoient tous les jours (si ce n’est dans les amphis, du moins dans les livres). Les « débutants » se feront une idée plus précise de ce que peut être cette discipline et découvriront des auteurs qu’ils seront immanquablement conduits à lire lors de leurs études. Ce livre peut aussi être une fenêtre agréablement ouverte sur l’épistémologie de la géographie à l’usage des autres chercheurs en Sciences Humaines.
N. Gobenceaux – Janvier 2007