Voilà le décor : « Au milieu de la grande forêt des Carpates, le village semblait comme perdu. Une seule route permettait d'y accéder. Après une vingtaine de kilomètres d'asphalte, une piste de terre battue prenait le relais sur encore quinze kilomètres. En été, les véhicules disparaissaient dans les nuages de poussière que soulevait leur passage. En automne, avec les premières pluies, la route se transformait en bourbier dans lequel les roues des camions chargés de bois s'enlisaient. » (Je me souviens d’un ami italien me racontant son voyage en Roumanie, vers Curtea de Arges : Tu te rends compte, la route n’est même pas goudronnée, et il y a des poules qui traversent en liberté. J’imagine. Un autre monde aux portes du notre.) Un village, en Moldavie roumaine dans ce roman, où l’auteur a passé une partie de son enfance. Une forêt à côté, des superstitions et un lac maléfique. Un personnage fort comme un turc (il n’apprécierait pas la comparaison, vu les relations qu’ont pu avoir les Roumains avec les Turcs « L'histoire raconte qu'au XVI' siècle le prince Étienne le Grand, voïvode de Moldavie, a livré non loin de là une terrible bataille. Battus en retraite, les Turcs avaient tenté un ultime repli dans cette épaisse forêt en bordure du lac. Acculés jusqu'à la rive, ils furent tous poussés à l'eau et noyés par les soldats d'Étienne. Depuis, l'endroit est comme maudit. D'ailleurs, rares sont les habitants de Slobozia à oser s'en approcher. ») et des meurtres qu’il tente d’expier par l’écriture. Des années 1970 aux années 1990, ce roman va dresser l’itinéraire à la fois sinueux et immobile de Victor sur fond de communisme et d’après communisme. Ces périodes historiques marquantes pour un pays comme le Roumanie vont correspondre, pour le protagoniste principal, à des tournants dans sa recherche de paix intérieure.
Voilà l’histoire : Victor, un jeune homme marginal, rejeté depuis l’enfance par les autres jeunes du village, va commettre de façon involontaire un meurtre ; il va donc être obligé de se cacher, arrivera alors le curé qui va lui proposer de recopier des ouvrages interdits par les communistes, ouvrages qui vont imprégner Victor ; mais Victor sera aussi en proie à la tentation, une tentation forte, très forte, trop forte. Ceci est le début de l’histoire inquiétante que Liliana Lazar nous propose donc ici.
Au fil des descriptions et différentes mises en place des lieux et des époques, l’auteur nous fait voyager dans sa région, décrivant par exemple
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Les maisons.
« La petite bâtisse émergeait à peine de la forêt. La maison des Luca ressemblait à la plupart des habitations de Slobozia. Ici, les bâtiments, sans étage, étaient faits de briques de terre mêlée à de la paille, que les habitants fabriquaient eux mêmes le long de la rivière. Les briques étaient empilées les unes sur les autres entre des poutres en bois qui servaient d'ossature à la construction. Un épais manteau de foin était déroulé entre la toiture et le plafond pour garantir une bonne isolation durant les longs mois d'hiver. Si les foyers les plus pauvres se contentaient de tuiles en bois, les plus riches ornaient leur toit de multiples moulures en zinc aux formes végétales. »
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Evoquant les changements politiques
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Eglise & Parti communiste.
Les relations entre l’Eglise et le parti communiste ont rarement été en bons termes. Pour chasser un policier curieux, la mère de Victor l’invite à prier avec elle, ce qui fait immédiatement fuir le policier. Une fois passée la chute du communisme, l’Eglise retrouve une place importante et liante dans la société roumaine : « Comme chaque jour le peuple clamait davantage sa soif de justice, certains dirigeants redoutèrent de tout perdre. Aussi décidèrent-ils de remplacer le Parti. Comme l'Église restait l'organisation la moins contestée, elle s'imposa d'elle-même, car les Roumains lui vouaient une confiance aveugle. Après avoir longtemps été persécutée, elle constituait désormais le centre de cette nouvelle société démocratique. La Roumanie redevint officiellement une nation chrétienne. À partir de ce moment, l'Église ne manqua plus de rien. »
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Et leurs (non)incidence sur certaines parties du pays
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La Révolution & la campagne.
Si cette révolution a des effets sur le pays, l’auteur évoque que pour la campagne c’est un peu différent : « Après la révolution, la vie à Slobozia changea peu. La pauvreté lancinante de cette campagne moldave faisait peser une chape de plomb que plusieurs décennies ne suffiraient pas à faire disparaître. Chacun continua à vivre de l'agriculture, de l'élevage et de la coupe du bois. Avec passage à l'économie de marché, la seule entreprise du village à se créer après la Révolution fut d'ailleurs une scierie qui réemploya les cinquante bûcherons de l'ancien kolkhoze forestier. »
« On veut proposer des livres dépaysants. » dit S. Juul éditrice chez Gaia . Comme on suit avec curiosité et effroi Liliana Lazar dans son conte des déboires de la famille Luca, on l’est ici dépaysé, voyageurs dans ces paysages et cette culture souvent méconnus (ce livre est une sorte de monographie romanesque d’un petit village) par chez nous. Certains romans donnent envie d'aller voir, mais est-ce que cette histoire plutôt sombre va donner l'envie d’aller découvrir la Moldavie roumaine ? c’est une autre question.