L. Giraudo, Michel Butor, Le dialogue avec les arts, Presses universitaires du Septentrion, coll. « perspectives », 2006
Si Michel Butor fut un temps « nobélisable » (peut-être l’est-il toujours), c’est qu’il est un des écrivains majeurs du XXè siècle. Certes il ne fait pas partie des blockbosters littéraires, mais l’ampleur de son oeuvre et la diversité de ses formes d’écritures (romans, poésies, écrits de voyages, livrets d’exposition, entretiens…) lui ont donné une renommée mondiale.
Le livre proposé ici par les Presses Universitaires du Septentrion présente une partie de ce qui a fait la multiplicité de cette œuvre, à savoir les collaborations artistiques de Michel Butor avec des artistes d’horizons géographiques et esthétiques différents. Cependant, ce livre met en avant que le dialogue avec les arts ne se résume pas aux livres en collaboration avec des artistes, mais recouvre l’ensemble des genres littéraires abordés par cet auteur… et quasiment l’ensembles des formes artistiques. Si Michel Butor est connu comme écrivain, il n’en demeure pas mois qu’il aurait aimé être un artiste, pratiquer plus la peinture ou l’aquarelle et qu’il a pratiqué le violon. Michel Butor a produit quelques œuvres plastiques ; néanmoins, c’est le volet textuel de son dialogue avec les arts qui est abordé dans cet ouvrage.
Tous les genres littéraires / Tous les arts
J’écrivais donc que tous les genres abordés par Michel Butor entrent en dialogue avec les arts. En effet, et c’est l’objet d’une grande partie de la première partie, un roman entre en résonance avec le modèle musical à travers L’emploi du temps, le « récit de pays» Mobile est associé à un modèle pictural lié à Jackson Pollock, et Description de San Marco se réfère au modèle architectural. La poésie, quant à elle, est associée aux Illustrations diverses (photographies, eaux fortes, …). Ces illustrations ont la particularité d’avoir été écrites pour accompagner des œuvres, mais elles ont été publiées par la suite sans les œuvres de référence. On retrouvera aussi les collaborations avec des plasticiens autour du livre pauvre (livre d’artistes fait à très peu d’exemplaires, voir à un seul) ou du livre objet dont on ne sait pas tout de suite qu’il s’agit d’un livre. Il a aussi travaillé avec d’autres écrivains mêlant ainsi différents genres littéraires (avec F.Y . Jeannet). Cette collaboration et ce dialogue avec les arts se développent par ailleurs dans des essais/ouvrages critiques sur différents auteurs (Baudelaire, Rimbaud, Michaux, Flaubert), peintres (Delacroix, Gauguin), musiciens (Beethoven).
Dialogues avec les arts / Dialogue avec la géographie
Une des préoccupations des artistes est de rendre compte du monde. Ainsi ils se sont souvent intéressés à des notions géographiques comme le paysage. M. Butor va plus loin : son dialogue avec les arts montre qu’il y a et que lui a une réelle proximité avec la géographie. « La fonctionnalité de l’art est donc centrale chez Butor puisque l’œuvre est caractérisée par son ouverture au monde. [l’œuvre d’art fonctionne] comme un instrument pour révéler le monde » (L. Giraudo, p. 65). A travers ses collaborations révélatrices du monde, M. Butor aborde des notions chères aux géographes telles que le lieu, l’espace, la frontière (j’aurais aussi bien pu citer des références liées à la distance, à la ville, au voyage…). C’est ce que je vais évoquer maintenant.
Le lieu est par exemple représenté ici par Description de San Marco. Il s’agit d’un dialogue avec l’architecture. Si la plus grande partie de ce livre concerne l’intérieur de la basilique, L. Giraudo nous rappelle qu’il commence par un chapitre sur la façade, lien entre l’extérieur et l’intérieur. Cette importance des lieux se transforme en espace dans Mobile. Ce livre est associé au modèle pictural (il est dédié à Jackson Pollock, Butor a été marqué par la ressemblance entre certains paysages et l’œuvre de cet artiste) et plus particulièrement aux arts décoratifs « puisque l’ouvrage est agencé comme un quilt » (L. Giraudo, p. 47), à la sculpture « dans la mesure ou le titre évoque A. Calder » (L. Giraudo, p. 48). Une collaboration avec un photographe permet à Butor d’écrire un texte sur la frontière, et plus particulièrement sur le franchissement de la barrière que sont les Montagnes Rocheuses (texte intitulé Les Montagnes Rocheuse). Dans le poème Méditation sur la frontière, il définit ce terme en l’associant avec la musique : « ainsi la frontière surmontée devient membrane vibratoire, aussi bien celle que produit le son que celle qui le reçoit. Elle devient le lieu où deux territoires se pressent amoureusement » (M. Butor, p. 75)
Ces quelques exemples montrent que la géographie est centrale dans la constitution de l’œuvre de Butor, et notamment dans son dialogue avec les arts. Comme écrit L. Giraudo, « il faut insister sur le terme géographie qui conduit à penser que la collaboration se déploierait d’abord comme l’image d’un monde qu’il s’agirait de mieux habiter et explorer, et qui n’est d’autre que le globe terraqué » (L. Giraudo, p. 93)
Nathanaël GOBENCEAUX - Juillet 2007