Ecrire un texte de cent pages sur un phénomène aussi complexe et incontournable que la mondialisation : voilà une entreprise bien périlleuse. On pourrait d’emblée critiquer la démarche ; économique, sociale et culturelle, la première caractéristique de la mondialisation est bien d’englober totalement le quotidien des hommes aujourd’hui. Elle est un enchevêtrement de systèmes si denses et si interdépendants qu’on ne peut les déconstruire en une heure de lecture. Certes… mais c’est précisément parce que ce phénomène construit notre quotidien, dans notre travail comme dans nos loisirs, parce que chacun d’entre nous est une maille de ce système, le cautionne qu’il le veuille ou non, qu’il est urgent de la faire comprendre au plus grand nombre : donner à voir, faire réfléchir, telle est bien l’étape indispensable – quoique insuffisante – à franchir avant d’agir.
Jean-Claude Borbalan, directeur de publication de la revue Sciences humaines et Sylvain Allemand, journaliste dans cette revue réussissent à dire l’essentiel sur la mondialisation sans simplifier à outrance. La lecture est vivante grâce à la démarche qui part d’opinions récurrentes issues du grand public : selon la tradition de la collection, les chapitres du livre sont autant d’idées reçues sur le phénomène, (organisées en trois partie : économie, politique, société) : « La mondialisation est un phénomène nouveau », « La mondialisation c’est la triomphe du libéralisme sauvage », « La mondialisation détruit les emplois », « Les gouvernements sont impuissants », « La mondialisation n’a que faire des droits de l’homme »… : les auteurs rappellent notamment que l’OMC n’a pas été créée pour libéraliser les échanges mais au contraire pour réguler la déréglementation, que les Etats-Unis ne dominent pas complètement le monde, que la défense des droits de l’homme est une composante autant qu’une victime de la mondialisation… Par bien des aspects donc, cet ouvrage est efficace puisqu’il permet d’élever la réflexion. On apprend ainsi que les Firmes Multi-Nationales ne sont pas nouvelles : depuis la transition démographique du 19ième siècle, elles sont vitales pour l’approvisionnement des pays du Nord. Les pressions faites sur les dirigeants ont contribué à la création de nouvelles normes éthiques, notamment pour empêcher les rémunérations insuffisantes des salariés des Pays de Sud. En ce qui concerne Nike par exemple, on comprend que les dérives qu’on lui connaît ne sont pas imputables à la FMN mais à l’absence de lois anti-trust et de moyens de contrôle du niveau des salaires, inexistants il y a quelques années. Il existe aujourd’hui toute une batterie de mesure à prendre en cas d’abus, la situation s’améliore donc peu à peu.
On remarque néanmoins que la plupart des idées reçues dont traite l’ouvrage sont négatives : par effet de contradiction, le texte a donc fatalement une coloration très mondialiste et libérale. Il y a un manque cruel d’idées reçues positives sur la mondialisation, qui aurait permis de traiter le problème beaucoup plus en amont. On pourrait ainsi imaginer un chapitre intitulé « Le modèle de croissance est indispensable pour une bonne mondialisation » ou « croissance mondial = développement mondial ». A l’issue de l’ouvrage, on n’aperçoit aucune alternative à la globalisation et la multiplication des marchés financiers… Le livre est donc relativement partisan car si il reconnaît l’importance des mouvements altermondialistes, il ne remet à aucun moment en cause l’idée d’économie de marché. De plus, certaines affirmations sont pour le moins discutables : ainsi, à la fin du chapitre sur les Etats-Unis, les auteurs affirment que les USA ne « se comportent pas en empire territorial classique et ne peuvent agir sans s’assurer le soutien de coalition et l’aval de l’ONU ». Et quelques lignes plus haut : « le budget de la défense américain représente l’équivalent du budget réuni des neuf autres principales puissances militaires de la planète ! Les Etats-Unis sont les seuls à pouvoir intervenir n’importe où dans le monde »… curieuse contradiction… la communauté internationale ne peut évidemment rien faire contre la puissance militaire américaine : l’intervention en Irak en 2002 - condamnée par l’ONU - en est la preuve.
Enfin, l’ouvrage n’évite pas certaines redites au fil des chapitres : des idées reçues auraient pu être traitées ensemble… cela aurait laissé la place à des chapitres un peu plus critiques sur la mondialisation et cela aurait donné une tonalité plus objective au livre ; cet effort d’objectivité défaillant ici me semble pourtant être la condition sine qua non d’un bon ouvrage sur la mondialisation …
Elisabeth Lehec