D’un côté, Fabio Geda est éducateur spécialisé dans un centre pour mineurs émigrés. De l’autre il est un jeune auteur italien, dont vient de paraître son premier roman ‘Pendant le reste du voyage, j’ai tiré sur les indiens’ -titre parmi les titres s’il en est- traduit et édité en France par la maison Gaïa. Un titre singulier donc, et un voyage à travers l’Europe. Emil, la douzaine, roumain en situation irrégulière, décide de quitter l’architecte attentionné qui l’héberge pour retrouver son grand-père, seul membre de sa famille qu’il sait où retrouver ; et encore approximativement puisqu’il sait juste que c’est à Berlin et qu’il y a une bouteille sur la fenêtre de sa chambre. Deux récits vont alors s’entrecroiser : l’un, principal, qui relate le voyage d’Emil sur les traces de son grand-père, l’autre où on va comprendre ce qui va finalement lancer Emil dans ce voyage.
Si l’auteur nous donne à voir le quotidien d’émigrés notamment en Italie, nous donne à voir du pays, il nous propose aussi une plongée dans les milieux marginaux de Milan, Berlin et Madrid notamment.
« quand on cherche quelque chose ou quelqu’un
et qu’on ne sait pas par où commencer,
n’importe quel endroit fait l’affaire. »
(F. Geda, p. 125)
Tout part de Turin donc, par une course sur le pont Isabella. On est un peu avant Noël. Dès les première lignes (et même dès l’incipit) le titre se dévoile « il y en a qui ont une vie comme le Mississipi, fluide, lente et fertile, et d’autres qui, comme Tex, risquent chaque jour de mourir de soif dans le désert, de tomber au fond d’un ravin ou d’être congelés dans une tempête. » Cette référence à la BD Tex Willer va accompagner Emil tout au long de son voyage, et on imagine aisément que ce dernier sera plus Tex que Mississipi.
Les circonstances et les rencontres permettent à F. Geda de nous évoquer certaines parcelles de la culture des pays en présence dans le roman. Comme la Roumanie : « le jour de l’union est en décembre. On fête l’union de la Transylvanie avec la Roumanie, qui a eu lieu le 1er décembre 1918. Je le dis au cas où ça intéresserait quelqu’un de le savoir. » ; comme l’Allemagne : « Franck Schnack a écrit que si on veut comprendre l’histoire des Allemands, il faut aller en forêt avec eux. Parce que l’homme libre, dit-il « est celui qui pénètre au plus profond des arbres ». J’ai dit : « je suis du même avis », même si je n’avais rien compris.».
Et comme Emil ne voyage pas seul, ses compagnons sont à la fois des protecteurs mais aussi des initiateurs. Une certaine Asia l’emmène visiter la maison de Herman Hesse à Calw, lui parle de Bertolt Bretch ; un certain Sebastiano l’initie à la photographie (« Le photographe, c’est celui qui sait choisir ce qu’il veut photographier, parce qu’il sait de quelle manière personne n’a jamais regardé cette chose. » lui dit-il).
Puis quelques escales … Hambourg … Leipzig … Halle … avant d’arriver à Berlin, d’y évoquer le quartier turc de Kreuzberg, l’architecture de la ville (« je passais de palais tout droit sortis des jeux vidéos pour Playstation, à des bouts de murs et des boutiques à la mode entourées de pistes cyclables »), la Museuminsel. Toujours suivre les traces du grand-père, repartir donc, traverser la France pour se retrouver à Toulouse, y découvrir le Fuagra et l’argile rose, puis le cassoulet à Carcassonne, puis encore plus au sud les tapas.
Voilà quelques petites choses européennes que ce roman met en avant. Il nous fait traverser ces pays à la suite d’Emil, qui est dans une situation tragique mais qui garde plein d’humour pour accomplir cette quête. Mais il faut dire que quand on est accompagné de Tex Willer, on ne craint pas grand chose, finalement…
N. Gobenceaux -
juillet 2009