Les textes, proposés par des universitaires, sont regroupés en trois grandes parties.
La première, MIGRATIONS, est centrée sur la construction et l’usage de la langue au contact de langues étrangères. On retrouve notamment ici une perspective historique sur la langue au Moyen Âge (Langue pérégrine – ou maternelle ? Variations et nationalisation des langues au Moyen-Âge par Christopher Lucken) et des mises en relation de différentes langues par les migrations annoncées en titre et la réception des œuvres dans d’autres contextes que ceux d’origine (Réflexivité du roman : Flaubert lecteur de Cervantes par Ildikò Lòrinszky et réécriture et réception : le cas des Mémoires de Casanova). On trouve aussi un article sur l’usage du français en Algérie à travers notamment le prisme des grands écrivains de ce pays (Langue de l’ailleurs… La langue française au carrefour des mémoires et des langues par Zined Ali-Benali).
La deuxième grande partie intitulée LA LANGUE PLURIELLE, nous proposent des textes sur le multilinguisme de quelques écrivains. On peut ici noter quelques idées intéressantes comme celles de Judit Karafiàth à propos du parcours multilingue d’Arthur Koestler (in Entre le hongrois, l’allemand et l’anglais : le parcours d’Arthur Koestler) : « C’est à partir de cette mosaïque ethnique et de cette pluralité des langues que Arthur Koestler s’est mis au travail : il n’a cessé de porter des briques au chantier de l’Europe ». Deux autres articles proposent aussi des choses qu’on peut dire un peu insolites. Le premier, Le syndrome de l’homme transistor. Poésie multilingue sur Ivan Blatny, met en évidence les jeux de langage en plusieurs langues du poète qui passe dans un même texte du Hongrois à l’Anglais et au français. Ce qui fait dire à Xavier Galmiche que « les mots dispersés à la surface du monde, le plus souvent se perdent – et, pour autant qu’il a partie liée avec eux, le monde court avec eux à sa perte. Recueilli par les soins du poète, le monde se recueille dans ses mains […]. » Enfin, l’article Andor Németh, auteur d’un essai philosophique rédigé en trois langues (par Gyögy Tverdota) tente de comprendre comment cet auteur en est arrivé à rédiger trois versions en trois langues différentes (Hongrois, Allemand et Français) de son essai Le circuit de l’Ipséité, bilan de l’existentialisme.
La troisième partie, DUPLICITE DU METISSAGE, parle à mot découvert de ce qui n’a pas forcément été cité jusque-là mais qui est présent dans la plupart des articles, c’est-à-dire le métissage. Dans le texte Identité culturelle et universalisme philosophique : l’aporie des « idiome nationaux » en philosophie, Gergely Angyalosi évoque quelque chose qui nous intéresse tout particulièrement dans notre perspective culture, à savoir que le rapport à la langue s’avère primordial pour adhérer à une culture (identité originaire) pour se l’approprier et que les idiomes ont
« un rôle stratégique dans les relations interculturelles » et participe notamment à écarter la xénophobie. Dans le dernier article que nous allons aborder ici, Anne-Rachel Hermetet (in Trieste, un mythe culturel pour le XXè siècle) expose le cas de Trieste, ville de confins s’il en est, « Le lieu par excellence d’une rencontre, d’un métissage, puisqu’y cohabitent italiens, Autrichiens, Slovènes […]. Elle a ainsi suscité la création d’un imaginaire qui lui est propre […] », qui se trouve à la frontière des mondes latin, germanique et slave. »
Ce livre, certes pas toujours facile à lire montre bien, à travers le dédoublement des langues notamment, comment celles-ci prennent une part importante, voire centrale dans la construction de l’interculturalité. Ce livre met aussi en avant que cette forme d’interculturalité est fréquemment présente, notamment chez les écrivains, et participe ainsi à la création d’imaginaires qui deviennent des repères culturels.
N. Gobenceaux