« Le 11 septembre, un nouveau western biblique : Nous et les autres ; la barbarie qui menace la civilisation ; les fous de Dieu et les martyrs assassins de civils innocents »… George Corm, économiste et ancien ministre des Finances du Liban tente d’apporter, de dépassionner les images réciproques de l’Orient et de l’Occident, « renverser la symbolique négative du 11 septembre qui domine jusqu’ici, pour que cet événement spectaculaire et sanglant close une époque et en ouvre une meilleure, au lieu qu’il nous enfonce toujours plus dans les langues de bois, l’irrationalité et l’assaut contre les libertés et le progrès de notre autonomie d’être humains. Il faut donc se battre pour le maintien de l’esprit critique, l’ironie voltairienne, l’idéalisme de Rousseau, de Locke ou de Kant.(…) Pour cela, il faut d’attaquer aux origines de nos inquiétudes et de nos peurs, solidifiées dans un filet dense de clichés et de préjugés qui nous enserre de partout, en Orient comme en Occident. » Véritable invitation à une psychanalyse collective, l’introduction de Corm est assez alléchante pour qui veut comprendre les problématiques géopolitiques actuelles sous un angle différent des médias quotidiens : l’introduction fourmille de questions prometteuses : « N’y a-t-il plus de langage de fraternité universelle qui permette de se sentir en sécurité, de ne pas avoir peur de son voisin proche ou lointain ? Sommes-nous condamnés à accepter passivement la revanche de Dieu, le Dieu punisseur et vengeur de la Bible, celui qui guide certains peuples et les sauve et qui en extermine d’autres ? » L’auteur veut donc déconstruire nos discours et nos images. Il commence par remonter aux origines de la fracture imaginaire, qu’il lit dans la vision binaire du monde au moment de la guerre froide, dans la division entre Aryens et Sémites, au sien d’un espace synapse et fracture à la fois : La méditerranée. Il poursuit ensuite en montrant comment le désenchantement du discours occidental influe sur nos sociétés tant occidentales qu’orientales : notre monde occidental est décadent, parce que sa grandeur a trouvé son apogée dans la religiosité judéo-chrétienne aujourd’hui en déclin (Max Weber). Nos modes de production et de vie individualiste que nous voulons plaquer dans les autres parties du monde sont des produits de nos religions ancestrales. L’islam radical contemporain est lui-même issu d’une vision occidental du monde : il renverse le discours narcissique occidental pour le retourner de façon hostile contre les pays développés, au lieu de le déconstruire pour réduire son rôle néfaste dans les inconscients collectifs.
Le livre est globalement intéressant et instructif ; on regrette pourtant l’introduction ne propose qu’un foisonnement de problématiques sur un sujet très complexe où le lecteur a besoin qu’on le guide un peu plus : l’auteur est peut-être un peu ambitieux au début de son livre, qui gagnerait en clarté soit en supprimant un ou deux chapitres, soit en assumant son sujet éminemment complexe (il devrait être beaucoup plus long de ce cas là, de manière à éviter les raccourcis peu compréhensibles pour un lecteur non averti). De plus, en voulant faire disparaître la ligne de fracture Orient-Occident, l’auteur stigmatise ce dernier et a du mal à ne pas retomber dans un dialectique de bons (ou victimes) et de méchants, dialectique inversée où l’Orient serait victime de l’occident. L’ouvrage n’échappe donc pas à quelques contradictions et comme tout essai qui tente de dire beaucoup en peu de pages, il est d’une densité parfois un peu décourageante pour un lecteur non averti.
Cependant, l’auteur parvient en 200 pages à faire prendre du recul par rapport à nos mentalités occidentales narcissiques, dont les failles sont facilement réinstrumentalisées par les extrémistes musulmans : les lignes de fractures se situent moins entre Orient et Occident qu’à l’intérieur de ces entités qui chacune à leur manière déplacent leurs propres faiblesses chez le voisin. Un chapitre entier est consacré à l’islam. La post-face de la seconde édition ne manque pas d’intérêt pour replacer le débat dans le contexte actuel. En somme, c’est un ouvrage qui sait rompre avec les journaux télévisés quotidiens : Alors que ceux-ci ont tendance à montrer et exagérer la fracture et donc à faire prendre parti violemment, ce livre fait réfléchir.
Elisabeth Lehec