Emmanuel Darley écrit des romans (voir POL, Verdier, Actes Sud), des livres jeunesse (voir L’école des loisirs). Il écrit du théâtre aussi (surtout), et fort bien. Sa pièce Bonheur ? a été montée en 2008 par la Comédie Française. En septembre 2009, il propose Le Mardi à Monoprix performé en scène par Jean-Claude Dreyfus. Ce texte est accompagné pour l’édition Actes Sud d’Auteurs vivants.
Le Mardi, Marie-Pierre va s’occuper de son père veuf, lui fait sa lessive, l’accompagne au Monoprix. Mais, dit Marie-Pierre, « Tout le monde me regarde le mardi. Tout le monde. Me regarde avec le coin de l’œil comme si discret mais en fait pas du tout ». Et les autres jours aussi, sûrement. Mais là c’est le mardi que déroule Emmanuel Darley. Parce que le mardi, c’est conflit. Conflit avec le père, conflit avec la société en même temps. Et Marie-Pierre nous raconte tout cela, nous monologue cette relation difficile, ces relations difficiles. Nous monologue dans une langue âpre, particulière qui contribue à donner à ce texte sa dimension somme toute tragique.
Tout le monde derrière attend. D'habitude cela file cela se succède il n'y a pas de temps à perdre. Choses posées sur le tapis roulant encaissées et réglées rangées vite fait dans le panier ou bien le sac plastique transparent de Monoprix.
Là non. Cela dure.
C'est moi que l'on attend. C'est moi qui suis l'attraction. C'est moi qui suspends le temps et occupe leur journée.
Le regard du père qui refuse, le regard des autres curieux et malsains. Car Marie-Pierre n’est pas que Marie-Pierre, elle est aussi Jean-Pierre, le garçon qu’elle a été avant de changer, de se changer. D’où le père qui refuse, qui continue de l’appeler Jean-Pierre, qui a honte de son fils devenu fille. Marie-Pierre nous confie tout cela, les maux par les mots, la différence, la mise à l’index, l’incompréhension, l’intolérance… jusqu’au drame.
Un joli texte, très émouvant, porteur de tolérance, une recherche d’écriture pour donner un rythme particulier, c’est tout cela que nous propose ici Emmanuel Darley.
Ce texte est accompagné d’un second, une attaque des « auteurs vivants » en quête de reconnaissance auprès de metteurs en scène et d’acteurs plus classiques, et légèrement arrangeant avec les textes justement classiques. Une opposition, une tension entre les textes classiques, la façon de les adapter ou plutôt de les « retoucher », et les textes contemporains caricaturalement injouables. L’histoire : un commando d’auteurs vivants (=contemporains) prend en otage une répétition du Cid du moins ce qu’il en reste après coupages et recoupages par le metteur en scène, et les force à jouer leur texte, ce qui est plutôt mal accueilli par les différents acteurs.
Deux textes, donc, deux textes très différents, singuliers et forts qui interrogent par leur fond ou par leur forme ce qu’est le théâtre contemporain.
N. Gobenceaux - novembre 2009