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Biblioforum


G. Adamesteanu, Vienne le jour, Gallimard, 2009

  • Gabriela Adamesteanu est née en 1942 en Roumanie. Fille de prêtre, issue d’une famille intellectuelle. Elle a été commentatrice politique et rédactrice en chef de l’hebdomadaire du Groupe pour le dialogue social. Elle est aussi traductrice de Maupassant en roumain.

    « Vienne le jour » est le récit d’une jeune fille de la Roumanie des années 1940-50.

     

    « La fumée des cigarettes se répandait en gros flocons et tachait l’air bleu de la nuit. »

     

    Letitia vit dans une ville de province avec sa mère, triste et dans l’angoisse du retour du père, et son oncle Ion, paternel et protecteur. C’est avant tout un récit quotidien, scandé par les insomnies, les questionnements, les disputes avec les propriétaires et voisins du logement. C’est un quotidien étouffant, où point de temps en temps quelques allusions au contexte politique : il est vite clair que le père de Letitia est prisonnier politique et que l’oncle Ion, à l’origine grand chercheur, moisit désormais dans un petit collège ; sa souffrance glissera en Letitia. Elle le perçoit, comme un éclair, puis le récit poursuit son cours. Dire qu’elle est dans son monde est certainement faux, puisqu’elle décrit sa place dans ce monde, un monde sensible, avec ses descriptions impressionnistes, sensibles, et souvent savoureuses, d’un bout à l’autre du livre. Des flash-backs se glissent au détour d’un paragraphe, basculement temporel opéré en un fragment de phrase ; puis un dialogue nous ramène au présent.

     

    « Toutes les maisons que je longe sont des animaux étranges aux écailles vertes, luisantes, gonflées de sève estivale (…) L’air sent les fleurs fanées, un parfum de miel si sucré qu’il vous pique la gorge, et la poussière des fleurs en miettes, mêlée à celles qu’apporte le vent, court en longues traînées dorées le long des trottoirs. »

     

    Les personnages passent et à la fin du livre, on  s’en souvient à peine, comme on ne se souvient pas de tous les personnages qui peuplent nos propres vies. Au cours de cette vie qui se déroule, des évènements surgissent et laisseront leurs empreintes. Elles affleureront plus tard, réminiscences floues, qui détermineront le destin de Letitia. La mort de l’oncle Ion, la libération et le retour du père, l’entrée à l’Université de Bucarest ; et la volonté de rester dans la ville (n’est pas résident qui veut à Bucarest à ce moment-là), de se libérer de sa condition, d’accéder à un autre monde. C’est par Petru Arcan, chercheur-enseignant à l’Université, qu’elle va se réaliser, en grande partie dans la douleur (l’homme est assez froid, conscient de sa valeur, délaissant quelque peu Letitia). Petru Arcan, c’est l’élève maladroit et timide de l’oncle Ion, quelques années auparavant. Letitia vient à lui, pour publier les travaux de l’oncle et le voir ainsi reconnu. A moins que ce ne soit uniquement pour approcher Petru Arcan, ou pour être reconnue elle-même…

     

    « Le gel et l’approche du soir donnaient au ciel des tons d’acier, l’air vif était immobile, si immobile que je sentais les couleurs déteindre les unes sur les autres. » 

     

    Dans cette seconde partie du roman (les années à Bucarest), l’attente inquiète de l’amour inassouvi domine, avec aussi les descriptions du foyer d’étudiantes, où aucune vie ne s’appartient réellement, depuis les douches communes jusqu’aux réunions de l’Union des Jeunesses Communistes, où se règle à coups d’exclusion la vie de quelques étudiants. Les murs ont des oreilles, et des personnages inquiétants comme Domnica semblent tout savoir.

     

    « De l’autre côté de la porte ouverte, toute la cour frémissait à l’unisson des arbres qui sentaient venir la pluie. »

     

    Cette vie que Letitia décrit elle-même comme terne ne l’est finalement pas. Le jour vient en effet, où Petru Arcan vient la chercher, acte qui signe pour Letita l’accession à un autre monde. On devine autant une réalisation personnelle que sociale et amoureuse. On n’en saura pas plus.

    Gabriela Adamesteanu signe un segment de vie, que la caméra sensible d’un Kieslowski aurait pu filmer. Il y a un peu de Weronika/Véronique dans Letitia…

     

    « La pluie avait cessé depuis longtemps, mais dans les flaques d’eau les troncs d’arbres opaques, les murs et les toits se reflétaient comme dessinés à petits traits de plume. »

     

    (« » p70 ; «  » p328 «  » p 203 « « » p300 « . » p374).

     

    A. Delaunay – Août 2009


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