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Biblioforum


Magnusson Kristof, Retour à Reykjavik, ed. Gaïa, 2008



  • Reykjavik en hiver


    Ah !!! « D’abord le noir de l’Atlantique Nord. Puis le noir des blocs de pierres. Une fine bande d’herbe. Puis l’avenue Sæbraut à quatre voies. Toute noire. Qui porte le flot des employés du centre-ville de Reykjavik jusqu’à leurs cités-dortoirs. Au bord de la voie rapide, devant le super marché drive-in. Je lisais CAFÉ, sur des panneaux flottant ». Un livre qui commence comme ceci me plait déjà ; d’autant que l’objet-livre qui supporte ce texte est lui aussi remarquablement agréable à manipuler. J’ai dans les mains Retour à Reykjavik de Kristof Magnusson, édité par les éditions Gaïa ; une belle couverture représentant un paysage urbain enneigé, un feu rouge et un ciel gris ; l’adéquation parfaite avec les première lignes du roman. Quelques mots sur les éditions Gaïa tout de même : sur leur site je lis : « Gaïa Editions avait pour projet d'emmener ses lecteurs faire le tour de la Terre (Gaïa, pour les Grecs) par les livres ». Plus particulièrement, ces éditions explorent les terres littéraires scandinaves et Serbo-croates, un peu à l’opposée des Landes où sont situés ses bureaux. Ses livres se singularisent aussi par leur papier : les pages sont rose-saumon, non pour évoquer le saumon nageant souvent dans les mers du nord, mais pour un confort de lecture optimal.

    ‘Matilda et moi Larùs’- passer 30 ans ou la difficulté de devenir adulte
    Kristof Magnusson nous emmène donc passer Noël en Islande. A priori, cela se présente bien, Noël avec compagnons et amie ; a posteriori ce n’est pas si terrible que ça. Cela aurait pu s’appeler ‘Matilda et moi Larùs’. Larùs est donc le narrateur, il habite Hambourg, est réalisateur de films realistico-méditatifs et va retrouver Matilda en Islande pour passer Noël. Il va trouver aussi ce qu’il ne cherche pas et dont il se serait sûrement bien passé : Dagur et les descendants d’Egill Skallagrimsson, un français nommé Raphaël, et tout un pan de son histoire familiale ; et le passage difficile à l’âge adulte, sur ce qu’est être adulte, le fait d’assumer sa marginalité. N’en disons pas plus sinon que ce voyage va se transformer en thriller épique, avec un secret –forcément– à découvrir. Evoquons plutôt les paysages.

    Paysages nordiques et non-lieux – particularités locales et universelles
    L’Islande dans l’imaginaire, du moins dans le mien, c’est la neige, les montages, les geysers. Ici, ce sont plutôt des paysages urbains qui nous sont proposés, une plongée dans la capitale Reykjavik et sa banlieue. Un paysage rock (au sens musical et au sens rocheux) se déploie au fil des phrases, mais on retrouve en arrière plan la neige omniprésente, les montagnes, la mer ; des détails nous rappelant l’Islande : une « route nationale percée dans la pierre de lave », « Derrière, il n’y avait rien d’autre que la mer. Grise. Les nuages gris. », « En Islande, certes les feuilles volaient aussi dans les rues, mais il n’y avait jamais de réel automne. Tout au plus un va-et-vient des mêmes rares feuilles avant qu’elles ne se collent définitivement sur l’asphalte ou qu’elles ne soient portées dans la mer par le vent. », « La mer était tantôt proche, tantôt lointaine ; on pouvait la voir, la sentir, la toucher, la goûter. Jamais la mer n’aurait eu l’idée de générer des œuvres d’art comme la montagne qui renvoyait les paroles des hommes avec son écho. Les montagnes étaient sournoises. Elles faisaient celles qui sont calmes, immobiles et immenses, pour engloutir d’un seul coup un village entier dans un glissement de terrain. », « De la neige fine tombait comme une pluie de sucre glace à travers les faisceaux lumineux de mes phares. », « Au dessus de la montagne Esja, je vis la première aurore boréale de l’hiver, un sirop de lumières blanc-vert qui se déversait lentement dans le ciel pour s’évanouir à nouveau ». Ces détails de géographie physiques sont accompagnés de géographie humaine. Si Dagur adhère au mouvement ATTAC, c’est entre autre pour lutter contre la mondialisation. L’auteur ne cesse pourtant pas d’évoquer des non-lieux, des endroits qui sont plus ou moins semblables dans tous les pays du monde : on découvre aussi l’Islande par cette face : les boîtes de nuit, les bars, l’aéroport, les 4x4, les voies rapides sur lesquelles les 4x4 vont à toute allure. Et le bus : « Je m’assis tout au fond du bus, calais mes jambes au niveau du logo Scania sur le dos du fauteuil d’en face afin de bien pouvoir m’enfoncer dans le siège. Dans ma veste, je trouvais un stylo du Centre de respiration artificielle de Minden en Wesphalie. J’écrivis alors sur le bleu ciel de la baie de Faxa entre Reykjavik et Akranes. »

    Petit arrangement avec l’histoire – littérature et pouvoir
    Comme elle est omniprésente dans ce livre, je vérifie l’histoire de la saga d’Egill Skallagrimsson en surfant sur le net. Je récupère « De nos jours, Egill demeure l'un des personnages préférés des Islandais et il est probable qu'un très grand nombre d'entre eux descendent de lui d'une manière ou d'une autre. » dans l’article wikipedia et « Snorri Sturluson : Probablement auteur d'une des grandes sagas dites des Islandais (Íslendingasögur), celle du Scalde Egill Skallagrímsson, et à coup sûr, du fleuron des sagas… » sur le site de la librairie Compagnie. L’auteur va adapter cette ascendance pour la transformer en objet de pouvoir « Nous avons transformé l’œuvre littéraire en pouvoir » fera-t-il dire à un de ses personnages.

    Basses continues
    Le tout est accompagné d’un certain nombre d’éléments qui vont revenir comme une ligne de guitare basse. Alors on peut mentionner un bar, le Gogo ; les oiseaux ; la relation avec l’ex : Milan ; les magasins d’alcool d’Etat ; des couplets de morceaux de rock’n roll, des marques de produits, et l’Allemagne aussi.


    Voilà donc une plongée érudite dans l’Islande contemporaine au cours de laquelle on ne s’ennuie à aucun moment et où on apprend par petites touches beaucoup sur ce pays somme toute assez méconnu.

    N. Gobenceaux – Août 2008
     

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