Biblioforum

Wideman J. E. , Le rocking-chair qui bat la mesure, Gallimard, 2008

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  Faisons une entorse à l’état d’esprit de notre revue fortement inspirée par la culture européenne en présentant pour une fois un auteur américain. John Edgar Wideman est né à Washington en 1941, il a passé sa jeunesse à Homewood, le quartier noir de Pittsburgh. Après avoir étudié à l’Université de Pennsylvanie il est allé également à Oxford avant de se consacrer à l’écriture. Le rocking-chair qui bat la mesure est le dernier livre qui forme « la trilogie de Homewood » avec Damballah * paru au début des années 80 et Où se cacher publié en 2004 mais dont chaque volet de ce triptyque peut se lire indépendamment. L’inspiration de notre auteur prend sa source au cœur de sa propre biographie familiale.
  Homewood est le quartier de l’enfance du narrateur qui nous restitue avec précision la géographie des lieux, des maisons ouvrières fatiguées aux briques rouges noircies par le temps, des rues tristes et froides, une voie ferrée où les enfants viennent y jouer à des jeux dangereux, une vieille gare abandonnée, et enfin le plus réussi ici, sa galerie de portraits. Wideman revient principalement sur des personnages qui font partie de sa famille au propre comme au figuré : Brother Tate, homme d’une quarantaine d’années, albinos, ce qui lui vaut le surnom de « fantôme », « d’Etre transparent », pas assez noir et pas assez blanc en même temps. Il va sombrer dans le silence et le mutisme après un drame mais il manifeste sa présence par son sens du rythme lorsqu’il tambourine la table comme sur des touches d’un piano imaginaire. La deuxième partie du roman donne la part belle aux grands-parents John et Frida qui ont recueilli Brother et Lucy Tate et à l’oncle Carl avec qui il va faire les quatre cents coups. Et puis il y a pêle-mêle les autres personnages qui ont formé cette saga familiale : Junebrug morte tragiquement dans un incendie,  Samantha qui a sombré dans la folie, Albert Wikes le musicien. Les histoires s’entremêlent les unes aux autres, se font échos parce qu’elles touchent les autres personnages, les affectent dans leur chair. Le livre s’achève dans les années 1970 et dresse une sorte de bilan des personnages. On peut clairement voir dans la personne de Doot la place de narrateur-auteur, celui qui nous délivre la parole de cette autobiographie.
  Le manque de reconnaissance de Wideman en France est dû à la réputation qu’il traîne d’auteur difficile et intellectuel. Effectivement, il faut bien dire que le livre comme les précédents, ne se donne pas facilement. Sa chronologie est discontinue, se fragmente avec la parole des personnages. Les personnages parlent beaucoup et longtemps, une langue familière et riche en images et en verve. Il faut se laisser porter, submerger par ce flot de parole de ces personnages hauts en couleur, pas gâtés par la vie, touchés par des blessures intimes. Ce roman choral dégage une énergie poétique lorsqu’il délaisse l’intrigue et le récit pour faire surgir des rêves hallucinés (notamment celui du passage dans le train), les intermittences de la mémoire, les introspections des questionnements des personnages donnant une ampleur littéraire. 
  
  
  D. Goulois - Juin 2008
  
  
  * Tous les livres de Wideman sont publiés chez Gallimard
  

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