Le 28 février 2009, Alain Bashung remportait trois récompenses aux dernières Victoires de la musique comme un hommage qui aurait pu être posthume à quelques jours près. Il y a à peine un ans Alain Bashung sortait son dernier album ‘Bleu pétrole’ et faisait une tournée des plateaux de télévision et des salles de concerts, il paraissait en bonne forme profitant de l’aura qu’il dégageait, la presse saluant cette icône de la chanson et le public le remerciant pour sa générosité et cette complicité tacite qu’il a nouée depuis plusieurs années. Mais ce-soir là tout est différent, on a l’impression d’assister à quelque chose de spécial sans pouvoir définir ce que l’on ressent. Alain Bashung apparaît sur scène, maigre, squelettique même, le visage émacié, les joues creuses, marchant avec difficulté. La rumeur était donc vraie. Alain est malade et on sent qu’il n’en a plus pour longtemps. S’il a annoncé qu’il reculait des dates de concerts c’est uniquement pour cette raison et non pas un caprice de star auquel Bashung ne nous a jamais habitué. Cela fait deux mois qu’il se bat contre un cancer du poumon apprendrons-nous plus tard. Comme un baroud d’honneur, un bras d’honneur face à la mort qu’il l’attendait, il a tenu à faire son tour de chant. Magnifique, une présence magnétique, tout de noir vêtu, le souffle court il a chanté ‘Résident de la République’ qui résonnait comme sa propre oraison funèbre « Un jour je parlerai moins /Un jour je ne serai plus ». « Ca réchauffe le cœur » dit t’il au public tout acquis à sa cause en soulevant sa récompense avant de se retirer dans l’obscurité des coulisses. Voilà, c’était la dernière apparition d’Alain.
Ces jours-ci pour les gens qui appréciaient Bashung, on se réveille avec une gueule de bois. Les hommages pleuvent, on ne tarie pas d’éloge pour ce grand bonhomme de la chanson.
En trente ans de carrière tout pile, l’homme a sans cesse cherché de nouvelles pistes, de nouvelles sources d’inspirations pour en restituer ce nouvel univers dans un disque devenant en quelque sorte une synthèse de cette quête. Sans jamais se prendre au sérieux tout en prenant au sérieux son public il l’a emmené vers de nouvelles directions et à chaque fois la critique et les aficionados ont répondu présent. Les paroles de ses chansons sont passées progressivement de l’humour vers un langage poétique plus fouillé. De ‘Gaby’, son premier succès, au ‘Cantique des cantiques’, en passant par ‘Ma petite entreprise’, ou encore ‘Osez Joséphine’, les textes de ses chansons sont devenus plus riches avec des jeux de mots sur le sens et les sons, les allitérations, les images. Boris Bergman, Serge Gainsbourg, et enfin Jean Fauque sont ses paroliers successifs qui lui permettent de devenir l’auteur décomplexé de ses propres chansons. Bashung aime aussi évoquer différents thèmes dans ses albums et non pas se cantonner à une seule thématique. Si l’on prend son album ‘Fantaisies militaires’, on passe par des chansons d’amour (‘Aucun express’), puis à une chanson sur la résistance (‘La nuit je mens’), ou encore une autre style nouvelle américaine ambiance noire (‘Samuel Hall’).
Bashung doit son succès aussi pour ses concerts. Sa générosité et sa présence scénique le rend unique. Pour preuve ses enregistrements en 1995 ‘Confessions publiques’ et en 2004 ‘La tournée des grands espaces’. Dans ce dernier, réalisé par Don Kent (qui réalisera plus tard le DVD de Noir Désir), la scénographie est très recherchée, sur une sorte de piste montante, dominée par un écran où sont diffusés des images et des mini-courts métrage, Bashung se tient debout, à coté de lui il a sa disposition une petite table ronde genre terrasse de café où sont disposés ses harmonicas et un verre d’eau. Il est situé tout devant, avancé au plus près du public. Les musiciens sont sur les cotés les uns derrières les autres, éclairés par des lumières bleutées. Le tour de chant dure plus de deux heures et il se dégage une énergie indescriptible. Bashung s’impose par sa seule présence sur scène et transmet au public une sorte de communion implicite à laquelle on adhère au bout de quelques chansons, on est captivé et fasciné par cet homme vêtu tout de noir et lunette de soleil cachant son regard qui nous empêche de voir ses yeux qui pourraient se trahir et nous dire ce qu’il pense. L’homme est pudique et peut-être aussi timide. Ses lunettes et ses habits noirs sont sa marque de fabrique et sa carapace. Il nous déclame ses chansons, on s’en abreuve, on l’écoute sans broncher, on profite de ces moments uniques dont on voudrait qu’ils ne s’arrêtent jamais. Il n’a pas besoin de faire de discours, de raconter des anecdotes et des histoires drôles, lui seul suffit et ses chansons, rien de plus et on est venu uniquement pour ça. Lui il sait tout cela. Un salut modeste au bout de la nuit nous invitait à nous quitter comme de vieux amis avec des images plein la tête.
David Goulois - Avril 2009