Sandro Veronesi encore méconnu en France est un auteur à succès dans son pays, l’Italie, où plusieurs de ses romans ont remporté des prix. Il a été traduits dans une quinzaine de langues. Il est né en 1959 à Florence, son frère Giovani est réalisateur. Chaos calme est seulement son troisième roman traduit en français après Vagualames en 1993 et La force du passé en 2000. Il s’est vu décerné le prix Strega en 2006 en Italie et les Prix Méditerranée et Médicis étranger en 2008 en France. Enfin ce roman a été porté à l’écran par Antonello Grimaldi avec Nanni Moretti dans le rôle-titre.
L’histoire :
Pietro et son frère marchent sur la plage quand soudain au loin ils entendent des cris, deux femmes sont en train de se noyer. N’écoutant que leur courage ils décident de plonger pour leur prêter secours. Étrangement la femme que tente d’aider Pietro ne se laisse pas faire, elle se débat comme si elle souhaitait en finir. Est-ce son affolement ou une attitude délibérée ? En tous cas, égoïstement, elle tente de l’emporter avec elle pour ne pas mourir seule. Pietro parvient non sans mal à regagner le rivage. Dans l’indifférence générale lui et son frère sortent de l’eau tandis que tous les autres s’affairent avec les deux femmes saines et sauves. Si son frère est vexé, Pietro s’en fout et s’en amuse même. Mais en revenant chez lui il découvre un balai d’ambulances qui n’annonce rien de bon. Sa femme Lara vient de mourir. Au moment où il sauvait une parfaite inconnue sa femme venait de mourir sans qu’il ait pu faire quelque chose. Un sentiment d’injustice transpire dans les premières pages du livre, une culpabilité est palpable. Cependant cette culpabilité n’est pas celle que le narrateur pensait éprouver. Une sorte de « chaos calme » s’installe insidieusement. Le chaos c’est la perte de sa femme, le calme c’est son incapacité à en éprouver une véritable peine. Toute son attention se porte alors sur sa fille Claudia qui a tout vu et qui malgré tout ne laisse pas transparaître sa douleur. Pietro pense que sa fille souffre mais qu’elle ne le dit pas et qu’à tout moment elle risque de sombrer dans une tristesse inéluctable si on l’aide pas à exprimer, par la parole et le dialogue, tous les maux enfuis afin qu’elle parvienne à faire son deuil. Le jour de la rentrée des classes, Pietro accompagne sa fille à l’école et lui fait la promesse de rester devant l’école et de l’attendre jusqu’à la sortie. Claudia est étonnée mais accepte de bonne grâce. Pietro décide de tout laisser tomber, son boulot, ses obligations, ses responsabilités pour sa fille. Le lendemain il fait pareil et le sur lendemain. Pietro se découvre un nouveau quotidien avec ses rituels, ses passants. Mais Pietro est rattrapé par le travail. Il travaille dans une grande société de production de télévision qui va être rachetée par des français et des américains. Ses collègues ont la malheureuse idée de venir le voir pour lui raconter tout ce qui se trame au bureau et le jeu des chaises musicales des dirigeants et des copains licenciés. Lui s’en fout mais il écoute d’une oreille bienveillante. On comprend la peine de Pietro mais on envie aussi sa situation, beaucoup de ses collègues aimeraient faire comme lui. Ses collègues viennent à tour de rôle déverser leur mal être sans trop se soucier de sa peine (on pense ici à La Maladie de Sachs de Martin Winckler, roman qui racontait le quotidien d’un médecin qui reçoit ses patients et leurs problèmes physiques et moraux sans que celui-ci parvienne à prendre une distance pour ne pas être affecté à son tour). Le livre va et vient entre chronique de Pietro devant l’école de sa fille et les rencontres de ses collègues.
Veronesi est un lointain cousin d’Alberto Moravia dans sa manière d’écrire et de retransmettre le caractère social de son histoire. Dans Le Mépris, Moravia nous narrait l’histoire d’un jeune homme marié qui tentait par tous les moyens de contenter son épouse, sans y parvenir. Il croit obtenir le boulot de sa vie en se faisant engager comme scénariste pour un film. Acculé par les dettes et les traites de leur appartement il accepte le travail même si celui ne lui convient qu’à moitié. Sa femme ne lui parle plus, elle qui rêvait d’ascension sociale, est déçue, elle finit par éprouver que du mépris quoi que fasse son mari. Elle accepte malgré tout de suivre son mari en vacances dans une maison de bord de mer appartenant au producteur qui a engagé son mari. Mais ces vacances ne vont pas se passer comme l’espére le mari qui n’arrive pas à s’affranchir du contrat qui le lie à son patron et voit de plus sa femme succomber au charme de l’argent. On a cette même relation entre les individus dans le roman de Veronesi. Des trahisons inévitables s’opèrent pour sauver ce qui est encore possible, les anciens amis se séparent, se mentent, se font des coups bas. Cette mascarade à laquelle Pietro ne participe uniquement que comme témoin prend une place importante dans le livre et donne un aperçu du monde du travail et surfe sur l’actualité brûlante des reconstructions et des restructurations d’entreprise. Il se dégage une certaine ironie de la part du narrateur qui est un féroce observateur des mœurs de ses compatriotes. La seule nuance que l’on pourrait apporter à ce roman c’est que l’on aurait aimé qu’il accentue et développe cet aspect du « chaos calme » qui affecte le personnage, qu’il en fasse une introspection plus poussée en nous donnant à voir tout le questionnement et les doutes de Pietro. Cet aspect n’enlève en rien la qualité du livre et le plaisir de lecture que l’on éprouve.
David Goulois - 2009
Chaos calme, Sandro Veronesi, éd. Grasset, 2008