Depuis les années 1980, le statut ambigu de la radio et de la télédiffusion pose problème aux Européens. Une analyse rapide des discours laisse supposer que, d’une manière générale, la Commission européenne fonde son intervention en tenant compte, plus volontiers, de la dimension matérielle de l’audiovisuel (entreprises de production, canaux de diffusion), tandis que les Etats- membres, la France en particulier, pensent leurs actions en fonction de sa dimension immatérielle (art, culture, identité). L’étude des archives nationales et de la presse fait apparaître une articulation de ces deux dimensions qui évolue au fur et à mesure des grandes négociations européennes (discussion des programmes de soutien) et internationales (GATT et AMI). La progression, puis l’avènement des concepts « exception culturelle » et « diversité culturelle », à la fois outils et principes d’une politique culturelle se basant essentiellement sur l’audiovisuel et le cinéma en Europe, nous renseigne à ce propos.
La pétition parue dans Le Monde en septembre 1981, à la suite du boycott du festival du film américain de Deauville et soutenue par un « Comité pour l’Identité nationale » aurait pu convenir, pour cette étude, de point de départ. Mais le contenu revendicatif de cet article ne connait une traduction pratique et une reconnaissance officielle qu’avec la loi de septembre 1986 qui introduit la notion d’« œuvre d’expression originale française ». C’est aussi en 1986 que les Ministres européens chargés de l’audiovisuel commencent à discuter de la mise en place de la future directive Télévision Sans Frontière (TSF), adoptée en octobre 1989. Cette directive doit contribuer à la circulation des programmes entre les différents Etats-membres et donc participer à la construction d’un espace commun de civilisation. Dans le même temps, au cours de l’Uruguay Round et à l’échelle internationale, une centaine d’Etats examinent et débattent des accords (GATT) qui établiront, en 1994, l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). En 1988, lors de la réunion de mi-parcours à Montréal, les négociateurs européens citent, au titre des « exceptions générales », les objectifs de politiques culturelles, comparables, selon eux, aux objectifs de défense nationale ou de protection sanitaire. Cette « exception » n’est donc encore, en 1988, qu’un simple outil juridique. Mais étant donné le contexte, elle acquiert vite une connotation politique et idéologique forte.
A l’aune de cette réflexion, il s’avère difficile de donner a priori une définition de l’audiovisuel ou de la culture. Car, depuis 1986, l’enjeu des négociations européennes et internationales a été justement de rediscuter, en termes politiques, et de reconsidérer, sur le plan économique, les dimensions, tant matérielles qu’immatérielles, de l’« audiovisuel » et de la « culture ». Leur définition se précisera donc, dans le texte et dans l’esprit du lecteur, au fur et à mesure de cette étude. Gardons pour l’instant à l’esprit que, depuis les années 1960, surtout au cours des années 1970, en France comme ailleurs, l’opinion commune associe l’audiovisuel au temps libre et à celui des loisirs. Les programmes de télévision sont surtout considérés comme des divertissements ayant peu de rapport avec le patrimoine ou l’art, pour ne citer que ces catégories de la Culture . A partir des années 1980, certains responsables politiques tenants, avec les professionnels, d’une définition élargie de la Culture, revendiquent pour l’audiovisuel, sur la scène européenne, des aspects culturels, afin d’en défendre une conception et une production nationale. Les programmes audiovisuels deviennent, dans les discours, des produits dotés d’une valeur spécifique : d’abord celle d’œuvre, qui révèle la créativité des professionnels travaillant dans ce secteur, ensuite, celle d’identité nationale (que Jack Lang appelle aussi « identité culturelle »), autrement dit de l’identité propre à une communauté. […]
Télécharger le texte en PDF