François Vallejo, Ouest, éd. Viviane Hamy, 2006
Parler d’un livre qui est paru il y a déjà plus d’un an en évitant les redites n’est pas chose facile. Pourtant ce livre mérite que l’on s’y arrête pour ceux qui ne le connaissent pas encore et que l’on y revienne pour ceux qui l’ont lu.
François Vallejo est un auteur discret, qui prend son temps pour se faire une place dans le petit monde littéraire. La critique est unanime pour souligner son talent et c’est amplement mérité à la lecture de ce livre. Ouest est (déjà) son septième roman, les précédents ont presque tous reçu des distinctions, ce qui ne veut pas forcément dire grand chose lorsque l’on sait comment se déroule la « cuisine littéraire » des prix en France. Toutefois une distinction semble importante à mes yeux, celle du prix Jean Giono qui laisse apparaître une certaine parenté voulue ou non avec l’auteur provençal ; à voir.
L’intrigue se déroule dans une sorte de Normandie imaginaire ou une Vendée rêvée (le narrateur évoque les chouans, peuple vendéen soutenant le roi) au beau milieu du XIXéme siècle, à la mort du vieux baron de l’Aubépine que le fils mal-aimé remplace au château des Perrières. Lambert le garde chasse découvre son nouveau maître, qui est tout à l’opposé du précédent. En effet, le baron de l’Aubépine embrasse des idées réformatrices aux contours un peu flous, il parle de république et désire renverser Napoléon III mais il cite également Proudhon et Fournier, il souhaite détruire les rapports de féodalité qui existent encore dans certaines contrées éloignées, les liens de maître à serviteur. D’ailleurs le baron préfère qu’on ne l’appelle plus par son titre, mais Lambert refuse cette idée qu’il trouve saugrenue et s’interroge sur sa personne. Certes de liens hiérarchiques s’instaurent entre eux, le baron apprécie le franc parlé de Lambert qui le pousse dans ses retranchements, mais des attitudes du maître poussent son serviteur à se poser des questions. Il découvre très vite que l’homme pour lequel il travaille a des mœurs très étranges. Le soir le baron fait venir des jeunes femmes au château, puis en pleine nuit on entend des cris, des courses effrénées à travers les pièces et enfin des départs soudains de la même calèche ramenant ces jeunes femmes d’où elles étaient venues. Une seule reste plus longtemps que les autres, Mlle Berthe qui tisse des liens d’amitié très fort avec la fille de Lambert, Magdeleine. Puis celle-ci disparaît également sans que l’on sache si elle aussi a fui ou si c’est le baron qui s’est chargé de son sort, fâché qu’elle lui est refusée de répondre à ses jeux sexuels. La vie suit son cours et le baron continue ses excentricités qui atteignent leur paroxysme lorsqu’il décide de partir pour Guernesey afin d’enlever Victor Hugo, devenu indésirable en France, pour le transférer dans son château. Lambert décide de mettre un terme à la folie de son maître et le contraint alors de rester au château en le braquant avec son fusil…
A la lecture de Ouest on pense à Dominique de Fromentin, à Eugénie Grandet de Balzac. L’auteur dépeint la société française de l’époque où une caste sociale très marquée se fait ressentir, un rapport de dominant à dominé dont on croyait naïvement qu’ il avait disparu à la révolution. On parlait de parenté avec Jean Giono au début, on peut trouver des similitudes avec Regain sorte de roman pastoral où un homme décide de vivre en communion avec la forêt et y découvre l’amour. On retrouve également cette même envie de décrire une nature omniprésente, un roman aux accents bucoliques et imprégnés de régionalisme. Le héros de Dominique est une sorte de « gentleman-farmer » faisant régner son autorité sur ses employés, qui doivent courber le dos à sa rencontre, mais dont esprit a l’air ailleurs, perdu dans l’immensité de ses terres et de la forêt qui entoure sa propriété. Dans Eugénie Grandet, le narrateur décrit, avant que l’intrigue à proprement parler commence, pendant plusieurs pages la région de Saumur et ses arpents de vignes et les fermes qui les exploitent. La forêt dans le roman de Vallejo tient une place fondamentale, elle est comme animée et sombre, il s’y déroule des parties de chasse et une course-poursuite finale haletante à travers les bois et les marais. Elle ajoute une tonalité sauvage et austère à la fois, on pourrait même dire glauque tant elle paraît froid et humide. Les dialogues entre les personnages sont savoureux, il s’en dégage beaucoup d’humour et des traits d’esprit entre Lambert et le baron, on sent un respect mutuel entre eux, même dans les moments les plus tragiques. Le livre est construit à partir de discours directs et indirects donnant in fine l’impression de lire un roman parlé, le narrateur interpelle son personnage principal, Lambert, nous donne ses pensées immédiates.
David GOULOIS – Juin 2008