Peut-on parler aujourd’hui d’un cinéma Européen ? Cette question est bien légitime à l’heure où l’on pose les premières fondations d’une politique européenne commune à grande échelle. Pour le moment, à la vue du bilan que l’on peut dresser de l’année qui vient de s’achever, c’est encore prématuré. Même s’il existe des collaborations entre pays européens celles-ci ne sont pas encore suffisantes pour parler d’une réelle politique commune de production de films. D’ailleurs il semblerait que pour la commission européenne ce soit le cadet de ses soucis car jusqu’à maintenant on n’a pas encore eu l’écho d’une quelconque directive ou encore de l’attribution de subventions permettant la concrétisation de projets d’identité européenne en ce qui concerne le cinéma. De plus il semblerait que d’autres obstacles entrent en jeu.
Tout d’abord, si on se place d’un plan de vue très concret, tous les pays membres de l’union ne sont pas logés à la même enseigne. La plupart des pays ont une production morose voire sinistrée. Prenons l’exemple de l’Italie qui a connu durant les décennies 50 à 70 tous les éloges et la gloire par son inventivité mais qui souffre aujourd’hui d’une production résolument tournée vers le format de la télévision au détriment de la pellicule et des salles obscures. En conséquence de cela très peu de films italiens traversent les frontières. On peut également citer le cas de l’Angleterre qui, mis à part Ken Loach ou Mike Leigh entre autres, rares réalisateurs à succès semblables à des arbustes cachant une forêt dépeuplée, ne parvient à produire des films s’exportant outre-Manche. La liste des pays en difficulté est particulièrement longue, inutile de s’y arrêter plus longtemps. D’autres en revanche s’en sortent nettement mieux. Le parfait exemple est sans aucun doute l’Allemagne qui depuis quelques années relève la tête. On parle même de « nouvelle vague » depuis le succès de Good bye Lenine à Quatre minutes récemment en passant par La vie des autres ou encore De l’autre coté pour ne citer qu’eux. Et puis il y a des pays dont la situation est à part car plus complexe. C’est le cas de la France, pays dont on pourrait croire qu’il se porte bien, produisant près de deux cents films par an avec son système de production complexe, avec ses organismes permettant la réalisation d’un premier film assez facilement (ADAMI, Avance sur recette, subvention régionale, etc.) mais rendant un second essai quasi impossible lorsqu’on n’est pas parvenu à faire ses preuves ou si on ne trouve pas un généreux mécène. Certes le cinéma français est celui qui résiste le mieux en Europe face à la concurrence américaine avec ses 40% de part de marché. Mais au bilan comptable on ne trouve que quelques films réussissant à atteindre les millions de spectateurs et tous les autres ne connaissant qu’un succès confidentiel. Pour ces derniers il existe quelques « rattrapages » du genre 'La nuit des Césars', cérémonie organisée par le gratin du cinéma, les professionnels du milieu et les intellectuels qui se mettent d’accord pour attribuer des prix sensés aider le spectateur et lui montrer « qu’il faut absolument voir ce film » et tant pis pour les autres non distingués. Les producteurs dans leur grande majorité sont réticents à concrétiser des projets réputés plus difficiles (catalogués cinéma d’auteur) et préfèrent investir dans des films grand public sachant qu’ils obtiendront un confortable retour sur investissement. Ils savent que l’exposition médiatique jouent dans leur sens. En effet, il suffit de remarquer que se sont toujours les mêmes acteurs qui font la tournée des plateaux de toutes les chaînes de télévision afin de s’y montrer et faire leur numéro de promotion ; ceci contribuant, in fine, à un effet de matraquage jusqu’à plus soif de films n’ayant pas forcément besoin d’autant de publicité même quand ils sont éreintés par la critique. Cette dernière est aujourd’hui plus ou moins écoutée. La critique de la presse (en perte de vitesse en nombre de lecteurs et d’abonnés) ne joue plus son rôle de baromètre en devenant de plus en plus consensuelle pour éviter de perdre des lecteurs et, quand elle fait son boulot en défendant dans la majorité des cas un cinéma d’auteur qui peine à trouver son public, ayant moins de copies et donc moins de salles, elle est taxée d’élitisme.
Ensuite, les pays composant l’union européenne sont-ils capables de former les prémices d’une identité européenne ? Le concept même de film à identité communautaire n’est-il pas un leurre ? Quelles sont les attentes d’un film de la part d’un spectateur espagnol, français ou encore letton ? Il semblerait que chaque pays s’attache à son identité cinématographique même s’il est parfois difficile d’exister dans un monde où même la création artistique est globalisée et où la domination du cinéma américain est incontestable. C’est cette même diversité qui fait la richesse de l’Europe. Il faut se souvenir, il y a quelques années lors de la fin des accords du GATT et du début de l’ère de l’OMC, la France défendait corps et âme « l’exception culturelle française » revendiquant le fait que le cinéma n’est pas une simple marchandise négociable. Il est sans doute, pour le moment, impossible de trouver une identité commune. Les pays membres de l’union ne semblent pas être partisans d’une mise en chantier, d’une sorte de « tour de Babel » à l’européenne. Les différences entre chacun sont tellement énormes qu’il est peu probable qu’ils s’entendent. Le cinéma propose des sujets, des thèmes qui sont abordés de différentes manières selon la nationalité du réalisateur, en fonction de sa vision, de ses coutumes, de son héritage culturel, de sa formation, etc. Si l’on prend le thème du travail on trouvera différentes visions entre des réalisateurs comme Laurent Cantet qui a une approche documentariste (Ressource humaine) alors que le thème est abordé sous la forme d’une fiction chez Ken Loach (It’s a free world). A cela s’ajoute chez ce dernier une démarche plus engagée et contestataire.
Enfin d’un point de vue plus abstrait on peut dire sans trop se tromper que le spectateur par ses choix, détient la clef d’une concrétisation d’un film à identité européenne ou non. Mais qu’est ce que l’Europe pour lui quand il ne sait même pas parfois ce que cela veut dire « avoir le sentiment d’appartenance à une nation ». Il y a certes cette volonté d’adhérer à des valeurs communes et d’avancer ensemble dans un système plus grand que l’échelle nationale, d’échanger et partager des richesses, mais du point de vue culturelle qu’est ce que cela lui apporte en tant qu’individu. Une production à identité européenne n’est peut-être pas prête de voir le jour dans la mesure où elle est source de contrainte et de concession. Elle entraîne un cahier des charges rigide, un format à déterminer, une équipe technique à désigner, le choix d’une langue, etc. Ne serait-il pas judicieux de rester à l’état des choses ? Il faut simplement qu’il y ait la même visibilité pour tout le monde, la même possibilité pour chacun de se faire connaître.
Pour le moment le spectateur a simplement envie de voir des films lui donnant à voir une situation, une photographie, un instant de ce qui se passe ailleurs, de comprendre ce que le réalisateur a à dire, une envie de s’informer, de voyager.
David Goulois – Février 2008
David Goulois est chroniqueur cinéma pour Radio Béton, il a fait des études de lettres et s’est intéressé plus particulièrement à Fernando Pessoa.