“En poète l'homme habite sur cette terre” (F. Hölderlin)
Que voulait dire par là Hölderlin ? Que l'homme a une sensibilité qui lui permet d'habiter en poète sur cette terre ? Mais tous les hommes ne possèdent-ils pas une sensibilité qui leur permet d'avoir une relation poétique avec la terre ? L'homme qui a une l'imagination poétique peut appréhender l'habitat d'une telle façon mais, en admettant que chacun ait une imagination poétique, pour beaucoup c'est une dimension qu'il reste à découvrir, à sortir du fond de leur être. Toujours est-il que la poésie est en relation étroite avec l'espace et donc par enchaînement, avec l'habitat qui est la première et pour ainsi dire la plus proche (la plus quotidienne) expérience de l'homme à l'espace. En effet, cet habitat est à la fois mère protectrice (l'enveloppe qui rassure) et esprit créateur puisque c'est le seul lieu où l'individu à (presque) toute liberté d'aménagement. Cela nous ramène à une définition de la poétique trouvée chez Kenneth White pour qui la poétique est la manière essentielle de composer le monde.
La question que l'on peut se poser est : comment l'espace poétique (qui est à l'interieur de tout être) crée-t-il de l'espace physique ? Comment cet espace poétique peut-il influencer l'homme dans sa relation avec l'espace physique ?
On peut faire ressortir deux principaux types de relation entre la poésie et l'espace. Tout d'abord, considérons que la poésie se situe en amont de l'habitat humain. Cette poésie regroupe donc des outils tels que l'imaginaire collectif, les mythes, les légendes et les mystères de la Terre. Bien sûr, c'est l'homme qui a inventé ces “histoires”, mais ce qui paraît intéressant c'est de voir comment aujourd'hui ces “histoires” influencent l'homme dans son rapport à l'espace. On peut illustrer cela par l'exemple de la peur ancestrale qu'ont les japonais de la forêt et qui s'explique par le fait que, selon les récits traditionnels, la forêt est le lieu de villégiature des démons et des esprits. On pourrait trouver beaucoup d'autres exemples à travers le monde. Ainsi, l'homme habite en partie le monde à travers des narrations séculaires.
Seconde idée, on considère la poésie comme résultant de l'expérience de l'habitat. Il s'agit ici de voir quelle interprétation du monde propose le poète. Il propose le résultat de son action d'habitant, de ce qui le touche dans les harmonies et les non-harmonies que lui et ses semblables entretiennent avec l'espace qui les entoure. Il décrit et interprète cette réalité environnante qu'il transforme en sa réalité propre puisqu'il s'agit là d'une perception (nous sommes par conséquent dans le domaine du subjectif). Le poète ne compose peut-être pas le monde, mais il est indéniable qu'il compose (au moins sur le papier) son monde. On voit donc ici deux dimensions de la poétique d'habitation. La première est une poétique créatrice d'espace, la seconde une poétique narratrice de l'espace.